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tracés avec un véritable talent, pourraient faire quelques pages dans le meilleur roman. Moi aussi, je pourrais te donner une description, une sorte d’esquisse de ce genre en prenant pour objet Olénitzyne directeur du bureau chez Tufiaïeff en 1837, et sa femme. Si tu poursuivais un but artistique ce serait très bien. Mais tu t’imagines toujours que tu fais des affaires ; en 1848 déjà, tu soupçonnais Sloujalski et pour te convaincre, tu fis la navette de la rue de Bourbon à la gare. Arraché à la vie réelle, depuis ton jeune âge jeté dans l’idéalisme allemand que le Temps dem Schema nach changea en une conception réaliste ; ne connaissant pas la Russie, ni avant ta prison, ni après ton exil en Sibérie, mais plein de passion et de fougue, avec des tendances à une large et noble activité, tu as vécu pendant un demi-siècle dans le monde des fantômes et des rêveries, en passant ta vie entière, à l’étudiant, dominé par tes grandes aspirations et assujetti aux menus défauts. Ce n’est pas toi qui as travaillé pour le roi de Prusse, mais c’est bien le roi de Saxe et Nicolas qui ont travaillé pour toi. Après dix ans de réclusion, tu apparais le même théoricien avec cet indéfini du « vague », un parleur (je le répète encore, Alexandre a mal agi de te le reprocher, bien qu’il n’y eût une seule personne qui ne le sache et qui ne s’en défie), peu scrupuleux au point de vue de l’argent et aux instincts épicuriens quoique se manifestant timidement mais d’autant plus persistants, enfin toujours aiguillonné par le besoin d’action révolutionnaire. Et Nalbandoff ne fut pas la seule victime de ton bavardage ; j’y vois encore Voronoff, par exemple. L’observation inutile que tu fis sur lui dans une de tes lettres à Nalbandoff lui valut, au lieu de son exil