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sentiment qu’il exprime ne fut pas dans mon cœur. Et que dirais-tu, alors, s’il t’arrivait de relire un jour toutes les lettres et les petits mots que tu m’as adressés ? Mon exil à Paris, ne suffirait pas, tu me ferais partir pour Calcutta ! Mais je n’ai pas l’intention de railler là-dessus. Tu dois savoir, Herzen, que je t’aime sincèrement et que mon estime pour toi n’a pas de limite. J’ajouterai à cela que je reconnais ta supériorité sans avoir une arrière-pensée quelconque, mais avec un véritable sentiment de bonheur, tes talents et ta science te mettant, sous tous les rapports, bien au-dessus de moi. Et c’est pourquoi, dans n’importe quelle affaire, ton opinion a toujours une si grande importance. Pourquoi donc, alors, la nécessité de m’exiler à Paris à cause de quelque diversité d’opinions sur des questions d’ordre secondaire, qui nous séparent éventuellement ? En effet, je t’adresse quelquefois ce reproche que pour toi les choses littéraires ont plus de valeur que les choses pratiques et qu’un littérateur est toujours plus cher à ton cœur que tout autre simple mortel. Certes, Wysocki n’est pas un génie, mais c’est un homme loyal qui parmi tous les réfugiés polonais a su gagner la confiance de ses compatriotes dans le pays. Son délégué est un jeune homme intelligent et très sympathique ; toi-même tu finiras par l’aimer, d’autant plus qu’il parle notre langue comme un natif et qu’ayant fait son service en Russie, il a appris à penser comme nous.

Je te prie donc de nous recevoir avec bienveillance. Nous nous rendrons chez toi après notre visite chez Mazzini, entre quatre et demie et cinq heures et demie du soir.


Ton B.