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chose, c’est de ne pas me laisser aller jusqu’à la réconciliation et la résignation, de ne changer en rien, de ne pas m’avilir au point de chercher ma consolation en me trompant moi-même, — conserver jusqu’à la fin, intègre, le sentiment sacré de la révolte…

Nicolas mourut, mes espérances se ravivèrent. Vint le sacre du nouvel empereur, et avec lui l’amnistie. Mais Alexandre Nicolaevitch, de sa propre main, effaça mon nom sur la liste des amnistiés qui lui fut présentée. Et lorsqu’un mois plus tard ma mère se présenta à lui pour le supplier de me gracier, il lui répondit : « Sachez, Madame, que tant que votre fils vivra, il ne pourra jamais être libre. » Après cette réponse, lorsque mon frère Alexis vint me voir, nous convînmes d’attendre patiemment un mois encore ; mais, passé ce délai, si je n’étais pas libéré, il m’apporterait du poison. Ce mois d’attente s’écoula et je fus avisé que je pouvais choisir entre la relégation à la forteresse et l’exil en Sibérie. Bien entendu mon choix s’arrêta sur la Sibérie. Et ce n’est pas sans peine que ma famille parvint à me soustraire à la prison. Avec l’entêtement d’un bélier, l’empereur rejeta toutes les suppliques qui lui furent adressées à mon égard. Un jour, le prince Gortchakoff, alors ministre de l’extérieur, se présenta au tzar qui l’accueillit en tenant une lettre dans sa main (c’était celle que j’avais écrite en 1851, à Nicolas) et lui dit : « Mais, je ne vois pas le moindre repentir dans cette lettre. » Comme si cet idiot pouvait s’attendre encore à un « repentir » ! Enfin, en 1857, au mois de mars, je sortis de Schlusselbourg ; je passai encore huit jours dans le IIIe Bureau de la Chancellerie impériale, enfin, sur l’autorisation spéciale de Sa Majesté, il me fut permis d’aller à la campa-