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femmes, après quoi ils les noyèrent ou leur coupèrent les pieds. Les Russes grâce à leur génie national, leur ingéniosité et leur discipline en tirèrent avantage. À la tête de ses dix-neuf hommes, Ignatieff se présenta comme le sauveur des Chinois, et nous voilà aujourd’hui d’un pied ferme dans les parages de l’océan Pacifique.

Mais revenons à Ignatieff lui-même. C’est un jeune homme d’une trentaine d’années, très sympathique dans toute sa personne, par ses idées et ses sentiments. Il est intelligent, énergique, résolu et habile en tout, au plus haut point. Bien qu’il soit très ambitieux, c’est un noble et chaleureux patriote qui, en dehors de la politique slavophile, demande pour la Russie des réformes démocratiques. Bref, il veut la même chose que Mouravieff, mais son programme affecte quelques légères différences dans les nuances. Tous les deux se sont liés d’amitié et ils vont agir de concert. C’est avec des hommes comme ceux-là que vous devriez entretenir des relations suivies : ceux-là ne font pas de belles phrases, ne se prodiguent pas dans la presse, mais ils ont des connaissances solides et, chose rare en Russie, ils travaillent beaucoup[1].

Mes amis, que faut-il que je vous dise de ma propre

  1. Nous estimons qu’il n’est pas superflu de rappeler ici à nos lecteurs le récit de A.-N. Mouravieff, le célèbre voyageur qui visita Jérusalem et Sodome (?) et en même temps fut un mouchard (il mourut à Kieff). Ce récit, publié dans la Russkaïa Starina (Antiquités russes), 1882, XII, 644-646, fait voir comment le général N.-P. Ignatieff, alors directeur du département asiatique au ministère de l’intérieur, s’était servi de l’influence qu’il pouvait avoir sur l’empereur Alexandre II pour envoyer M.-N. Mouravieff, qui lui était antipathique, au poste de dictateur à Vilna. La participation que