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appliquer l’épithète de nihiliste à tel adversaire du gouvernement qui, en Europe, compterait parmi les politiciens modérés.

De plus, on confond sous ce nom deux mouvements tout à fait différents par leur nature, leur principe et même par le caractère individuel de leurs partisans. Le mouvement incarné dans le type de Bazaroff, le héros du roman « Les pères et les fils », écrit en 1861, se présente plutôt dans le sens de la culture ; il porte essentiellement en lui le caractère philosophique et n’est que faiblement teinté de socialisme politique. C’était, en Russie, un reflet des idées de matérialisme et d’utilitarisme grossier.

Au contraire, le mouvement révolutionnaire, inauguré en 1870 et dans les années suivantes, qui se manifesta sous la forme « d’aller au peuple », est d’un bout à l’autre socialiste et apparaît comme un amalgame de socialisme occidental et de patriotisme national.

Bakounine n’avait absolument rien de commun avec les idées de la période Bazaroff, et même il avait peu de contact avec les précurseurs du mouvement socialiste-révolutionnaire « d’aller au peuple ». Dans la proclamation qu’il publia dans la Jeune Russie en 1862, il dit que toutes ses espérances sont fondées sur le peuple (le bas-peuple, le peuple « noir »), et sur la jeunesse des écoles, et il s’opposa carrément au mouvement qui, à cette époque, se manifesta dans la noblesse et dans la société intelligente russe, mouvement qui avait pour but de pousser le gouvernement à convoquer une Assemblée générale des zemstvos. Cette idée fut sou-