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cernent l’affranchissement des serfs et l’abrogation du pouvoir des seigneurs, le noble-tchinovnik agisse contre lui-même, c’est-à-dire contre le noble-seigneur de village. La vertu romaine n’est pas commune chez nous, le sacrifice de ses propres intérêts est un mot vide de sens pour un homme officiel, et la crainte n’a plus d’action sous le Czar actuel. Nous avons vu qu’à l’exception de quelques exemples respectables et dignes, la grande majorité des nobles-tchinovniks, les ministres, les grands seigneurs, les gouverneurs, — toute cette haute volée des bureaucrates, et avec elle toute la gueusaille des tchinovniks, ont pris parti contre le Czar et pour les propriétaires. Il n’y a qu’un moyen pour mettre le monde officiel à la raison, c’est une autre crainte — la crainte du peuple. Mais l’Empereur lui-même se sent, à ce qu’il paraît, mal à l’aide en face de cette crainte et, ayant perdu l’espoir de se sauver par les tchinovniks, il cherche maintenant son salut dans la noblesse.

Oui, l’état des choses est changé. Du temps de Rostovtzow, de Milioutine on menaçait la noblesse au nom du peuple ; maintenant on a trouvé en elle des vertus fabuleuses et l’on nomme les nobles les fils aînés de la Russie, les soutiens du trône, les ornements de la patrie. On découvrira sans doute bientôt qu’ils étaient les bienfaiteurs de leurs serfs et que le peuple, qui les adore, ne veut point d’affranchissement. À en croire les discours que le gouverneur-général de St. Petersbourg a récemment prononcés, c’est dans les mains de la noblesse qu’on a déposé le destin futur et la nouvelle organisation de la Russie.

Les assemblées de la noblesse dans les gouvernements ont reçu la mission de discuter les réformes financières, judiciaires, administratives et finiront peut-être par octroyer une constitution nobiliaire.

Qu’est-ce que la noblesse russe ?

En premier lieu ce sont les descendants des boyards moscovites, des gradés militaires, que le czar Ivan Wassiliévitche punissait de mort et que pendait le héros populaire Stenka Rasine parce qu’ils opprimaient et pillaient le peuple. Puis les descendants de ces aristocrates, qui avaient perdu tout sentiment de leur propre