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C’est dans le Raskol que continua et se conserva pour le peuple l’histoire de la Russie populaire que Pierre avait interrompue. C’est en lui qu’il trouve ses martyrs, ses saints héros, ses croyances intimes et ses espérances ; en lui sont ses consolations prophétiques. Par lui, le peuple a reçu son éducation sociale, une organisation politique, secrète mais d’autant plus puissante, c’est lui qui a soudé sa force. Le Raskol fera flotter le drapeau de la liberté pour sauver la Russie.

« Le temps n’est plus loin ! » disent les Raskolniks. C’est du Czar que le peuple attend maintenant sa liberté, — et malheur au Czar, malheur à la noblesse, aux monopolistes, aux officiers, aux employés, aux prêtres impériaux, à toute la Russie impériale, si on ne donne immédiatement au peuple une liberté complète avec pleine et entière possession de la glèbe !

Un oukase du Czar, qui n’était que la conséquence inévitable des circonstances qui l’avaient précédé, a appelé le peuple à prendre part à la vie politique, à l’histoire de la Russie. Qu’on fasse tout ce qu’on voudra, qu’on essaie de lui barrer le chemin par des obstacles doctrinaires ou par la violence, lui, il ne rétrogradera plus. Il est impossible, du reste, de se passer de lui. Les colonnes allemandes qui soutenaient l’empire fondé par Pierre sont pourries, le knout aussi a perdu sa force ; Même le régime de Nicolas a cessé d’être. Tout est en désarroi, les finances, l’armée, l’administration, et ce qui est le plus triste, le gouvernement manque de sens commun, de volonté, de foi en lui-même. Personne ne le respecte. Comme tout ce qui est faible, il est en même temps doux et cruel, mais on ne l’aime pas pour sa douceur, ni ne craint sa cruauté. Il se fâche, menace, bannit en Sibérie, mitraille le peuple, mais on se moque de lui. Il se tourne enfin lui-même en dérision, tombant à tout moment dans des contradictions, ordonnant aujourd’hui la même chose pour laquelle il punissait hier, de manière qu’on ne sait plus à quoi s’en tenir. L’anarchie, la méfiance de soi-même et des autres règnent dans toutes les classes de la société, dans tous les pouvoirs du monde officiel. On convient qu’on n’a ni la force ni le droit d’exister, on doute du lendemain et le