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Il ne leur vient pas à l’esprit que la vérité et la sincérité sont impossibles là où il n’y a point de vie ; que les forces vitales de la Russie, ruinées par les réformes violentes de Pierre I. n’ont jamais soutenu l’édifice qu’il avait construit. Pendant plus de trois demi-siècles, le peuple russe a porté sur ses larges épaules le gouvernement de St. Petersbourg, si difforme et construit à la hâte ; il semblait prévoir que ce gouvernement le rallierait à l’Europe et s’écroulerait pour lui faire place ; il lui a sacrifié ses plus belles forces, mais il ne l’a jamais aimé, en a beaucoup souffert, le haïssait, et maintenant que ce régime est prêt à crouler, ce n’est pas du peuple qu’il doit attendre du secours.

Ce dernier le renversera pour pouvoir respirer et être en état de se mouvoir librement.

Nos réformistes n’ont pas compris qu’aussitôt après la catastrophe de la Crimée et la mort de Nicolas, l’heure du régime de Pierre avait sonné.

La Russie, ce colosse aux pieds d’argile, doit crouler, disent les ennemis de la Russie, pleins de joie. Oui, elle s’écroulera, mais ne vous réjouissez pas trop tôt. La ruine de cet empire ne ressemblera aucunement à celle de l’Autriche et de la Turquie, qui se prépare aussi. Rien ne restera après eux, sinon des nationalités hétérogènes, qui rejetteront ces deux noms avec haine et mépris ; mais des ruines de l’empire russe sortira le peuple russe. Ôtez à la Russie la Pologne, la Lithuanie, la Russie Blanche, la Petite-Russie ; arrachez-lui la Finlande, les provinces de la Baltique, la Géorgie, tout le Caucase, il vous restera encore le peuple grand russien fort de quarante millions, un peuple plein de force, de sagacité, de talents, presqu’intact, non affaibli par l’histoire et qui, on peut le dire, n’a fait jusqu’à présent que se préparer à une vie historique. Tout son passé en porte la preuve. Mû, peut-être, par le pressentiment d’un grand destin, il a gardé son intégrité, ses institutions sociales et économiques, purement slaves, et les a défendues contre des impulsions et des influences venant tant de l’extérieur que de l’intérieur.

Depuis la fondation de l’empire moscovite jusqu’à nos jours, il