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aurait un vide que rien ne saurait combler, aurait perdu sa plus belle couronne. Oui, nous aimons les Polonais, nous les admirons et avons foi dans leur grand avenir, qui est lié pour toujours avec celui de tous les Slaves, croyons qu’ils resteront nos frères ! Je sais bien que, maintenant, ils sont froids et méchants envers nous, que même dans nos plus étroits rapports, il y a plus de prudence diplomatique et de politesse que de sentiment amical, mais c’est que nous sommes fautifs envers eux et que notre faute est bien grande ! Nous devons tout souffrir d’eux et leur prouver par nos actions plus encore que par nos paroles, que nous avons un droit à leur fraternité. Par notre patience, notre amour, notre foi en eux, par des actions de justice et de liberté, nous vaincrons leur froid et leur méfiance. Nous deviendrons leurs frères, parce que cette fraternité est indispensable pour la cause panslaviste.

Nous désirons trop leur amitié et sommes trop persuadés qu’une sincérité complète est la première condition de toute amitié vraie, pour leur cacher nos pensées, même quand elles diffèrent de leurs persuasions, et je le répète encore une fois : je pense que les Polonais sont dans l’erreur quand ils annexent d’avance l’Ukraine sans consulter les Ukrainiens en se basant sur leurs droits historiques seuls.

Je pense que l’Ukraine polonaise, de même que les Russins de la Galicie et notre Petite-Russie — comptant quinze millions d’habitants qui parlent la même langue, ont la même religion, n’appartiendront jamais ni à la Pologne, ni à la Russie, mais à eux-mêmes. Je pense que toute l’Ukraine, de même que la Russie-Blanche, — la Courlande et la Livonie — qui ne sont pas des provinces allemandes mais finno-lettonnes, la Lituanie même seront, ainsi que la Russie, la Pologne et les nations slaves qui peuplent l’Autriche et la Turquie, des membres autonomes de la grande confédération panslaviste. Je le pense, mais je puis me tromper — j’énonce une pensée, mais non une prétention, pas même une conviction absolue. Je ne demande qu’une chose : que toute nation, toute race qu’elle soit grande ou petite, ait la possibilité et le droit d’agir selon son bon vouloir, de se rallier à la