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à la Russie-Blanche, en y comprenant Smodensk, à la Livonie, à la Courlande, à toute l’Ukraïne, sans excepter Kieff. En un mot, ils voudraient rendre à la Pologne ses anciennes limites.

Il me semble que les Polonais commettent une grande faute en posant la question de cette manière. Cette faute, du reste, est facile à comprendre et à pardonner : on leur a ôté leur nationalité, ils souffrent sous un joug affreux et humiliant, ils jettent des regards de douleur passionnée sur leur passé, qui n’est pas identique avec le nôtre ; nous n’avons rien à regretter : tout ce que nous avons derrière nous est dégoûtant, et toute notre vie est dans l’avenir. La vie passée des Polonais a de belles et nobles pages ; ils peuvent la regretter et en être fiers. Mais quelque beau qu’il soit, le passé est loin et l’on n’y peut retourner. Et malheur aux peuples — de même qu’aux individus — qui vivent rétrospectivement : ils affaiblissent leur présent et leur avenir.

Cette rétrospectivité est d’autant plus nuisible qu’elle embrouille les principes, qu’elle détourne, au profit du passé, l’attention des questions vitales contemporaines, et sacrifie pour des sources taries de gloire et de forces passées, ces principes palpitants de vie, qui seuls peuvent créer une gloire et une force nouvelles. Par exemple le catholicisme était autrefois l’âme de la Pologne chevaleresque. Plus tard, s’étant transformé en jésuitisme, il lui a beaucoup nui, ayant repoussé d’elle l’Ukraine. Puis il lui fut de nouveau utile, en séparant sa nationalité et l’empêchant de se confondre avec la Russie de Nicolas. Mais s’en suit-il que maintenant il soit le principe vital de la Pologne ? Beaucoup de Polonais le pensent ; mais je suis persuadé qu’ils se trompent, et que cette erreur est très nuisible à la Pologne. Une vie nouvelle ne peut surgir d’un monde débile et mourant.

Un autre exemple : l’ancien royaume de Pologne était essentiellement un état chevaleresque et aristocratique ; disons, si l’on veut, démocratique, mais seulement dans le sens antique — alors nous nommerons les grands seigneurs — magnats — l’aristocratie, la chliachta (les gentillâtres) libre — la démocratie, et le peuple proprement dit — les chlori — nous représentera les esclaves dont