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dignité, — qui, quand ils écrivaient des placets aux Czars, se nommaient leurs esclaves et ne signaient pas de leur nom mais de diminutifs d’abjection comme « Vanka » ou bien « Kondrachka », que les Czars battaient et faisaient battre tant et aussi souvent que bon leur semblait. C’est cette caste stationnaire, sans sens commun, depuis longtemps pourrie, à charge et nuisible à l’État, que Pierre I. brisa en en faisant une caste d’employés et de militaires, mais à laquelle il donna, pour la dédommager, la moitié de la population rurale comme esclave. Cette caste abjecte et voleuse qui, depuis Pierre jusqu’à nos jours, encombrait, sous le nom de tchinovniks et d’officiers, les régiments et les chancelleries, et, remplissant sans honte ses poches percées, servait, pendant un siècle et demi, d’arme éhontée et cruelle au plus vil despotisme, qui, pillant, tyrannisant violentant, exilant en Sibérie, échangeant, vendant, perdant au jeu ses serfs, ruinant le peuple, n’a pas même su se préserver d’une ruine totale. C’est cette classe criminelle, qui, de nos temps, et guidé par Nicolas, a, sous le nom de tchinovniks, conduit la Russie au bord du précipice et est devenue, comme caste de seigneurs-propriétaires, un objet de mépris et de haine pour tout ce qu’il y a en Russie de gens d’esprit et d’avenir.

Il n’y a pas à douter qu’il y a eu et qu’il y a parmi les nobles des personnes qui, par leur esprit, leur éducation, la noblesse de leur caractère et la pureté de leurs intentions, ont mérité et méritent le respect, mais ce n’était et ce n’est qu’une exception et jamais l’expression d’une caste. Au contraire ils marchaient, vivaient et agissaient en opposition avec les habitudes et les intérêts de la caste à laquelle ils appartenaient par leur naissance. Le contact de la noblesse avec la civilisation occidentale eut deux résultats opposés l’un à l’autre. Sur la majorité, il eut une influence corruptrice : lui ayant donné de nouvelles habitudes, de nouveaux goûts, la connaissance de la vie extérieure européenne, il ne put changer son âme de boyard tatare, ni la pente de son esprit esclave et despotique en même temps. L’ayant séparée du peuple, il eut pour résultat qu’elle méprisa le peuple et en devint l’ennemi. Mais il agit tout différemment sur la minorité de cette même noblesse russe, minorité presque infime et