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d’avoir ses Shakespeare, ses Milton, de renverser le despotisme des Stuarts, et de mater ensuite le despotisme allemand apporté par la maison de Hanovre. En France même, malgré le triomphe du catholicisme, malgré l’anéantissement et le bannissement définitif des populations protestantes, les plus industrieuses et les plus riches du pays, enfin malgré l’établissement d’une monarchie orientalement absolue, avec tout l’étalage insolent de son Roi-Soleil qui résume en sa personne tout l’État, — en France, depuis Rabelais, Montaigne et Descartes jusqu’à Voltaire et Diderot, à travers la grande littérature du dix-septième et du dix-huitième siècles, vous trouvez un courant non interrompu et toujours grossissant de libre-pensée, qui inspire de nobles esprits, fonde à Paris des salons littéraires et philosophiques, des Académies de sciences et de lettres, crée une opinion publique opposée autant au catholicisme, au dogme chrétien, au Maître céleste, qu’au despotisme royal, et qui, d’abord se développant en cachette, se répandant peu à peu, par mille filières souterraines et invisibles, dans toutes les classes de la société, finit par embrasser la nation tout entière, proclame la Révolution et traîne à la guillotine le maître terrestre.

Mais en Allemagne rien, rien du tout. Depuis la mort de Luther jusqu’à l’apparition des premiers écrits de Lessing, c’est-à-dire pendant deux siècles de suite, interruption complète de pensée, de tout mouvement intellectuel et de toute vie morale ; à