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Il m’est impossible de croire à leur aveuglement. Ils sont des hommes de talent, doués d’intelligence, d’instruction, et riches d’expérience. Et il ne fallait pas beaucoup d’expérience pour s’apercevoir du jeu perfide que jouait le parti bonapartiste, ressuscité grâce à eux. Donc ils trompaient le peuple ? Oui, ils le trompaient. Et pourquoi le trompaient-ils ? Par peur d’une révolution sociale.

Tel est le vrai mot de l’énigme d’hier et de toute la situation actuelle. Depuis les journées de Juin, la puissance intellectuelle et morale et la bonne foi du républicanisme bourgeois ont cessé d’exister. Le peuple ne veut plus de la République bourgeoise, et les bourgeois les plus radicaux ne veulent point de la République sociale, populaire. Entre ces deux Républiques il y a un abîme si profond et si large, que tous les artifices de la dialectique et de la rhétorique ne sauraient le combler. Chacune de ces républiques exclut l’autre, représentant, |11 l’une et l’autre, deux mondes non seulement différents, mais absolument opposés : l’une celui de l’exploitation et du privilège, l’autre celui de l’égalité économique et de la justice sociale. La bourgeoisie tend naturellement au premier, le prolétariat des villes et des campagnes adhère, et par position et d’instinct, souvent même sans qu’il s’en doute lui-même, au second.

En perdant l’appui et la direction de la bourgeoisie, le prolétariat a perdu sans doute beaucoup : il lui manque l’intelligence et l’expérience des affaires des bourgeois. Mais il a conservé néanmoins l’élé-