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server, les expérimenter et les comparer. Si restreint qu’il soit en comparaison de l’Univers, notre globe est encore un monde infini. Sous ce rapport, on peut dire que notre monde, dans le sens le plus restreint de ce mot, notre terre, est également inaccessible, c’est-à-dire inépuisable. Jamais la science n’arrivera au dernier terme, ni ne dira son dernier mot. Est-ce que cela doit nous désespérer ? Au contraire, si la tâche était limitée, elle refroidirait bientôt l’esprit de l’homme, qui, une fois pour toutes, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, ne se sent jamais aussi heureux que lorsqu’il peut briser et franchir une limite. Et fort heureusement pour lui, la science de la nature est telle, que plus l’esprit y franchit de limites, plus il s’en élève de nouvelles qui provoquent sa curiosité insatiable.

Il y en a une que l’esprit scientifique ne pourra jamais franchir d’une manière absolue : c’est précisément ce que M. Littré appelle la nature intime ou l’être intime des choses, ce que les métaphysiciens de l’école de Kant appellent la chose en soi (das Ding an sich). Cette expression, ai-je dit, est aussi fausse que dangereuse, car, tout en ayant l’air d’exclure l’absolu du domaine de la science, elle le reconstitue, le confirme comme un être réel. Car quand je dis qu’il est dans toutes les choses existantes, les plus communes, les plus connues, y compris moi-même, un fond intime, inaccessible, éternellement inconnu, et qui, comme tel, reste nécessairement en dehors et absolument indépendant de leur existence phénomé-