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votre point de vue scientifique ce que ma foi m’a fait toujours entrevoir et pressentir : l’existence réelle de Dieu. Une fois certain de ce fait, je n’ai plus besoin de votre science. Dieu réel la réduit à néant. Elle a eu une raison d’être tant qu’elle l’a méconnu, qu’elle l’a nié. Du moment qu’elle en reconnaît l’existence, elle doit se prosterner avec nous et s’annuler elle-même devant lui.

|201 Il y a toutefois, dans la déclaration de M. Littré, quelques mots qui, dûment compris, pourraient troubler la fête des théologiens et des métaphysiciens : « L’immensité tant matérielle qu’intellectuelle, dit-il, tient par un lien étroit à nos connaissances, et devient par cette alliance une idée positive et du même ordre ». Ces derniers mots ou bien ne signifient rien, ou bien signifient ceci :

La région immense, infinie, qui commence au delà de notre monde visible, est pour nous inaccessible, non parce qu’elle serait d’une nature différente ou qu’elle serait soumise à des lois contraires à celles qui gouvernent notre monde naturel et social[1], mais uniquement parce que les phé-

  1. J’avoue que j’éprouve toujours de la répugnance à employer ces mots : « Lois naturelles qui gouvernent le monde ». La science naturelle a emprunté ce mot de loi à la science et à la pratique juridiques, qui l’ont naturellement devancée dans l’histoire de la société humaine. On sait que toutes les législations primitives ont porté d’abord un caractère religieux et divin ; la jurisprudence est aussi bien que la politique fille de la théologie. Les lois ne furent donc rien que des commandements divins imposés à l’humaine société, qu’elles eurent la mission de gouverner. Transporté |201 plus tard dans les sciences naturelles, ce mot de lois y conserva longtemps son sens primitif, et cela avec beaucoup de raison, parce que, pendant toute la longue période de leur enfance et de leur adolescence, les sciences naturelles, encore soumises aux inspirations de la théologie, considérèrent elles-mêmes la nature comme soumise à une législation et à un gouvernement divins. Mais du moment que nous sommes arrivés à nier l’existence du divin législateur, nous ne pouvons plus parler d’une nature gouvernée ni de lois qui la gouvernent. Il n’existe aucun gouvernement dans la nature, et ce que nous appelons lois naturelles ne constitue pas autre chose que différents modes réguliers du développement des phénomènes et des choses, qui se produisent, d’une manière à nous inconnue, au sein de la causalité universelle. (Note de Bakounine.)