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Dans le monde organique, ce même moteur universel se manifeste par une loi nouvelle, qui est fondée sur l’ensemble de ces lois générales, et qui n’en est sans doute rien qu’une transformation nouvelle, transformation dont le secret nous échappe jusqu’ici, mais qui est une loi particulière en ce sens, qu’elle ne se manifeste que dans les êtres vivants : plantes et animaux, y compris l’homme. C’est la loi de la nutrition, consistant, pour me servir des propres expressions d’Auguste Comte : « 1° Dans l’absorption intérieure des matériaux nutritifs puisés dans le système ambiant, et leur assimilation graduelle ; 2° Dans l’exhalation à l’extérieur des molécules, dès lors étrangères, qui se désassimilent nécessairement à mesure que cette nutrition s’accomplit[1]. »

Cette loi est particulière en ce sens, ai-je dit, qu’elle ne s’applique pas aux choses du monde inorganique, mais elle est générale et fondamentale pour tous les êtres vivants. C’est la question de la nourriture, la grande question de l’économie sociale qui constitue la base réelle de tous les développements postérieurs de l’humanité[2].

  1. Auguste Comte, Cours de Philosophie positive, t. III, p. 464. (Note de Bakounine.)
  2. « Il est incontestable que dans l’immense majorité des êtres qui en jouissent, la vie animale ne constitue qu’un simple perfectionnement complémentaire, surajoute, pour ainsi dire, à la vie organique (végétale) ou fondamentale, et propre, soit à lui procurer des matériaux par une intelligente réaction sur le monde extérieur, soit même à préparer ou à faciliter ses actes (la digestion, la recherche et le choix des aliments) par les sensations, les diverses locomotions et l’innervation, soit enfin à le mieux préserver des influences défavorables. Les animaux les plus élevés, et surtout l’homme, sont les seuls où cette relation générale puisse en quelque sorte paraître totalement intervertie, et chez lesquels la vie végétale doive sembler, au contraire, essentiellement destinée à entretenir la vie animale, devenue en apparence le but principal et le caractère prépondérant de l’existence organique. Mais, dans l’homme lui-même, cette admirable inversion de l’ordre général du monde vivant ne commence à devenir compréhensible qu’à l’aide d’un développement très notable de l’intelligence et de la sociabilité, qui tend de plus en plus à transformer artificiellement — (et dans la théorie d’Auguste Comte très aristocratiquement, dans ce sens qu’un petit nombre d’intelligences privilégiées, naturellement entretenues et nourries par le travail musculaire des masses, doit gouverner, selon lui, le reste de l’humanité) — l’espèce en un seul individu, immense et éternel, doué d’une action constamment progressive sur la nature extérieure. C’est uniquement sous ce point de vue qu’on peut considérer avec justesse cette subordination volontaire et systématique de la vie végétale à la vie animale comme le type idéal vers lequel tend sans cesse l’humanité civilisée, quoiqu’il ne doive jamais être entièrement réalisé… La base et le germe des propriétés essentielles de l’humanité doivent incontestablement être empruntées à la science biologique par la science sociale »… « Même à l’égard de l’homme, la biologie, nécessairement limitée à l’étude exclusive de l’individu, doit maintenir rigoureusement la notion primordiale de la vie animale subordonnée à la vie végétale, comme loi générale du règne organique, et dont la seule exception apparente forme l’objet spécial d’une tout autre science fondamentale (la sociologie). Il faut enfin ajouter, à ce sujet, que même dans les organismes supérieurs, la vie organique, outre qu’elle en constitue à la fois la base et le but, reste encore la seule entièrement commune à tous les divers tissus dont ils sont composés, en même temps qu’elle est aussi la seule qui s’exerce d’une manière nécessairement continue, la vie animale étant, au contraire, essentiellement intermittente. » AUGUSTE COMTE, Cours de Philosophie positive, t. III, pages 207-209. (Note de Bakounine.)