Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sociale, les savants forment certainement une caste à part et qui offre beaucoup d’analogie avec la caste des prêtres. L’abstraction scientifique est leur Dieu, les individualités vivantes et réelles sont les victimes, et ils en sont les immolateurs consacrés et patentés.

La science ne peut sortir de la sphère des abstractions. Sous ce rapport, elle est infiniment inférieure à l’art, qui, lui aussi, n’a proprement à faire qu’avec des types généraux et des situations générales, mais qui, par un artifice qui lui est propre, sait les incarner dans des formes qui, pour n’être point vivantes, dans le sens de la vie réelle, n’en provoquent pas moins, dans notre imagination, le sentiment ou le souvenir de cette vie ; il individualise en quelque sorte les types et les situations qu’il conçoit, et, par ces individualités sans chair et sans os, et, comme telles, permanentes ou immortelles, qu’il a le pouvoir de créer, il nous rappelle les individualités vivantes, réelles, qui apparaissent et qui disparaissent à nos yeux. L’art est donc en quelque sorte le retour de l’abstraction à |215 la vie. La science est au contraire l’immolation perpétuelle de la vie fugitive, passagère, mais réelle, sur l’autel des abstractions éternelles.

La science est aussi peu capable de saisir l’individualité d’un homme que celle d’un lapin. C’est-à-dire qu’elle est aussi indifférente pour l’une que pour l’autre. Ce n’est pas qu’elle ignore le principe de l’individualité. Elle la conçoit parfaitement comme principe, mais non comme fait. Elle sait fort bien que toutes les espèces animales, y compris l’espèce