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tenir les débordements de sa passion révolutionnaire. Mais ce ne fut qu’un moment, qu’un élan, et comme l’effet passager et factice d’une inflammation cérébrale. Le souffle lui manqua bientôt ; et lourd, sans haleine et sans force, il s’affaissa sur lui-même ; alors, bridé de nouveau par Mélanchthon et par Luther, il se laissa tranquillement reconduire au bercail, sous le joug historique et salutaire de ses princes.

Il avait fait un rêve de liberté et il se réveilla plus esclave que jamais. Dès lors, l’Allemagne devint le vrai centre de la réaction en Europe. Non contente de prêcher l’esclavage par son exemple, et d’envoyer ses princes, |135 ses princesses et ses diplomates pour l’introduire et pour le propager dans tous les pays de l’Europe, elle en fit l’objet de ses plus profondes spéculations scientifiques. Dans tous les autres pays, l’administration, prise dans sa plus large acception, comme l’organisation de l’exploitation bureaucratique et fiscale exercée par l’État sur les masses populaires, est considérée |119 comme un art : l’art de brider les peuples, de les maintenir sous une sévère discipline et de les tondre beaucoup sans les faire trop crier. En Allemagne, cet art est enseigné comme une science dans toutes les universités. Cette science pourrait être appelée la théologie moderne, la théologie du culte de l’État. Dans cette religion de l’absolutisme terrestre, le souverain prend la place du bon Dieu, les bureaucrates sont les prêtres, et le peuple, naturellement, la victime toujours sacrifiée sur l’autel de l’État.