Page:Bakounine - Œuvres t2.djvu/460

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rable de ces gens. Ils surpassent aujourd’hui Robert Macaire, le chef spirituel de leur Église, et Napoléon III lui-même, qui en est le chef visible.

    très propre à ce métier. Toute sa nature, tout son être se résument en ces deux mots : réclame et chantage. Au journalisme il doit toute sa fortune ; et l’on ne devient pas riche par la presse, quand on reste honnêtement attaché à la même conviction et au même drapeau. Aussi, nul n’a poussé aussi loin |84 l’art de changer habilement et à temps ses convictions et ses drapeaux. Il a été, tour à tour, orléaniste, républicain et bonapartiste, et il serait devenu légitimiste ou communiste au besoin. On le dirait doué de l’instinct des rats, car il a toujours su quitter le vaisseau de l’État à la veille du naufrage. C’est ainsi qu’il avait tourné le dos au gouvernement de Louis- Phi |72 lippe quelques mois avant la révolution de Février, non pour les raisons qui poussèrent la France à renverser le trône de Juillet, mais pour des raisons propres à lui et dont les deux principales furent sans doute son ambition vaniteuse et son amour du lucre déçus. Le lendemain de Février, il se pose en républicain très ardent, plus républicain que les républicains de la veille ; il propose ses idées et sa personne : une idée par jour, naturellement dérobée à quelqu’un, mais préparée, transformée par M. Émile de Girardin lui-même, de manière à empoisonner quiconque l’accepterait de ses mains ; une apparence de vérité, avec un inépuisable fond de mensonge, — et sa personne, portant naturellement ce mensonge et, avec lui, le discrédit et le malheur sur toutes les causes qu’elle embrasse. Idées et personne furent repoussées par le mépris populaire. Alors M. de Girardin devint l’ennemi implacable de la République. Nul ne conspira aussi méchamment contre elle, nul ne contribua autant, au moins d’intention, à sa chute. Il ne tarda pas à devenir l’un des agents les plus actifs et les plus intrigants de Bonaparte. Ce journaliste et cet homme d’État étaient faits pour s’entendre. Napoléon III |85 réalisait, en effet, tous les rêves de M. Émile de Girardin. C’était l’homme fort, se jouant, comme lui, de tous les principes, et doué d’un cœur assez large pour s’élever au-dessus de tous les vains scrupules de conscience, au-dessus de tous les étroits et ridicules préjugés d’honnêteté, de délicatesse, d’honneur, de moralité publique et privée, au-dessus de tous les sentiments d’humanité, scrupules, préjugés et sentiments qui ne peuvent qu’entraver l’action politique ; c’était l’homme de l’époque, en un