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toutes ses dents tombèrent. Voici ce que l’auteur de la présente notice a écrit, au lendemain de la mort de Bakounine, d’après des souvenirs recueillis de la bouche de celui-ci, sur cette dernière période de sa captivité : « L’atroce régime de la prison avait complètement délabré son estomac ; vers la fin, nous a-t-il raconté, il avait pris en dégoût tous les aliments, et en était arrivé à se nourrir exclusivement de choux aigres hachés (chtchi). Mais si le corps s’affaiblissait, l’esprit restait inflexible. Il craignait une chose par-dessus tout : c’était de se trouver un jour amené, par l’action débilitante de la prison, à l’état d’abêtissement dont Silvio Pellico offre un type si connu ; il craignait de cesser de haïr, de sentir s’éteindre dans son cœur le sentiment de révolte qui le soutenait, et d’en arriver à pardonner à ses bourreaux et à se résigner à son sort. Mais cette crainte était superflue ; son énergie ne l’abandonna pas un seul jour, et il sortit de son cachot le même homme qu’il y était entré. Il nous a raconté aussi que pour distraire les longs ennuis de sa solitude, il aimait à repasser dans son esprit la légende de Prométhée, le titan bienfaiteur des hommes, enchaîné sur un rocher du Caucase par les ordres du tsar de l’Olympe ; il songeait à la dramatiser, et nous avons retenu la mélodie douce et plaintive, composée par lui, du chœur des nymphes de l’Océan venant apporter leurs consola-