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contre les villes, les villes et la France avec elles serait perdue. Les ouvriers le sentent, et c’est là en partie ce qui m’explique l’apathie, l’inertie, l’inaction et la tranquillité incroyables, honteuses des populations ouvrières à Lyon, à Marseille, et dans d’autres grandes cités de France, dans un moment suprême, si terrible, où l’énergie de tous les habitants de la France peut seule sauver la patrie, et avec la patrie le socialisme français. Je m’explique cette inertie singulière par ceci : Les ouvriers de la France ont perdu leur pauvre Latin. Jusqu’à cette heure ils avaient bien souffert de leurs propres souffrances, mais tout le reste : leur idéal, leurs espérances, leurs idées, leurs imaginations politiques et sociales, leurs plans et projets pratiques, rêvés plutôt que médités pour un prochain avenir, tout cela ils l’ont pris beaucoup plus dans les livres, dans les théories courantes et sans cesse discutées que dans une réflexion spontanée basée sur l’expérience et la vie. De leur existence et de leur expérience journalière ils ont fait continuellement abstraction, et ils ne se sont point habitués à y puiser leurs inspirations, leur pensée. Leur pensée s’est nourrie d’une certaine théorie acceptée par tradition, sans critique, mais avec pleine confiance, et cette théorie n’est autre que le système politique des Jacobins modifié plus ou moins à |51 l’usage des socialistes révolutionnaires. Maintenant cette théorie de la révolution a fait banqueroute, sa base principale, la puissance de l’État, ayant croulé. Dans les circonstances actuelles, l’application de la méthode terroristique, tant affectionnée des Jacobins, est évidemment devenue impossible. Et les ouvriers de France, qui n’en connaissent pas d’autres, sont déroutés. Ils se disent avec beaucoup de raison qu’il est impossible de faire du ter-