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devenu un peuple bourgeois, désormais incapable de résolutions suprêmes et de passions sauvages, et préférant la paix avec l’esclavage à une liberté qu’on devrait acheter par d’immenses sacrifices, ou bien a-t-il conservé, sous les dehors de cette civilisation corruptrice, toute ou du moins une partie de la puissance naturelle et de cette sève primitive, qui en a fait une grande nation ?

Si la France n’était composée que de la bourgeoisie française, je n’hésiterais pas à répondre négativement, La bourgeoisie, en France aussi bien que dans presque dans tous les autres pays de l’Europe occidentale, constitue un corps immense, infiniment plus nombreux qu’on ne le pense, et qui pousse ses racines jusque dans le prolétariat, dont elle a passablement corrompu les couches supérieures. En Allemagne, malgré tous les efforts que se donnent les journaux socialistes |2 pour provoquer dans le prolétariat le sentiment et la conscience de son antagonisme nécessaire vis-à-vis de la classe bourgeoise (Klassenbewusstsein, Klassenkampf), les ouvriers, et en partie aussi les paysans, sont complètement pris dans les filets de la bourgeoisie, qui les enveloppe de toutes parts de sa civilisation et fait pénétrer son esprit dans leurs masses. Et ces écrivains socialistes eux-mêmes qui tonnent contre la bourgeoisie, sont de la tête aux pieds des bourgeois, — des propagateurs, des apôtres de la politique bourgeoise, et par une conséquence nécessaire, le plus souvent sans le savoir et sans le vouloir, les défenseurs des intérêts de la bourgeoisie contre le prolétariat.

En France, les ouvriers sont beaucoup plus énergiquement séparés de la classe bourgeoise qu’ils ne le sont en Allemagne, et ils tendent à s’en séparer chaque jour davantage. Pourtant l’influence délétère de la civilisation