Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais, avouée ou secrète, la politique de la monarchie est désormais frappée de suspicion. Quoi qu’elle tente, elle n’effacera plus l’impression laissée par le « renversement des alliances », et l’année 1756 reste la date critique de notre histoire nationale. La politique étrangère de Louis XVI et de Vergennes est la plus honnête, la plus raisonnable, la plus prévoyante, la plus nationale qui se puisse faire. Il y avait eu, à l’origine, des exagérations dans le sens autrichien ; elle les corrige. Elle prend sur mer une éclatante revanche sur l’Angleterre et retrouve une part de nos colonies. En Europe, tous les éléments capables de troubler l’équilibre sont observés de près. À aucun moment la diplomatie française ne s’est élevée à une conception plus haute et plus nette du rôle que les traités de Westphalie avaient donné à notre pays. D’ailleurs, une surveillance plus attentive que jamais est nécessaire. Les problèmes continentaux s’étaient compliqués au milieu du XVIIIe siècle des rivalités coloniales[1]. Sous Louis XVI, c’est par rapport à la question d’Orient qu’il faut, en outre, résoudre les difficultés. Vergennes a cette grande intuition et pose les bases de la méthode à suivre. Rien n’y fait, le charme est rompu. La France ne comprend pas.

Sans le grand coup de folie de la Révolution, la route de la France était toute tracée. C’est ce qu’un esprit comme celui de Renan a entrevu à de certaines heures, avec le sentiment de l’erreur commise. En Allemagne, surtout, il suffisait de tenir la main au respect de l’équilibre et d’utiliser ce droit de « garantie » que le traité de 1648 réservait à la Couronne de France et qui n’était ni aussi « insuffisamment défini » ni aussi inefficace qu’on l’a dit, puisqu’en 1779, à Teschen, l’intervention de notre pays brisait net un retour offensif de Frédéric II en Allemagne.

  1. À ce propos, il est bien curieux que, lorsqu’on parle du Canada et de l’Inde perdus par Louis XV, on ne parle jamais ni des colonies perdues par la Révolution ni de l’Amérique perdue par le régime parlementaire anglais à la suite du concours que Louis XVI avait prêté à l’insurrection américaine. Cela s’appelle pourtant une réparation du traité de Paris et en vingt années juste (1763-1783).