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n’aiment pas les idées neuves. Elles préfèrent les routes toutes tracées. Elles sont pour la tradition, celle qui s’impose par la force de l’habitude, au hasard, que cette tradition soit bienfaisante ou non, ou qu’elle ait cessé de l’être. La monarchie française, en adaptant son système de politique extérieure à des conditions nouvelles, se montrait manœuvrière et novatrice. Le grand public ne la suivit pas, resta paresseusement dans l’ornière, attaché à un passé mort. Peut-être eût-il fini par comprendre et par suivre le pouvoir si les conducteurs de l’opinion (c’étaient les « philosophes ») avaient été capables de l’éclairer. Mais ils se trouvaient engagés dans la même erreur par leurs idées, par l’amour-propre et par la position qu’ils avaient adoptée. Fut-ce rencontre ou calcul ? Il se trouva que le Hohenzollern, dont la politique tendait à la destruction du système européen établi par le XVIIe siècle, fut un ami et un protecteur pour les adeptes d’idées qui, elles-mêmes, tendaient à renverser l’ordre de choses existant. L’ambition des rois de Prusse ne pouvait être satisfaite qu’au prix d’un bouleversement total de l’Europe. L’alliance de leur politique avec le mouvement émancipateur d’où la Révolution devait sortir s’explique par là. Dès qu’un calculateur aussi pénétrant que Frédéric eut compris les avantages que comportaient pour lui les sympathies du libéralisme français, il les cultiva assidûment par des avances, des flatteries, où les arguments trébuchants et sonnants ne manquaient pas de renforcer la doctrine. D’ailleurs protestants, grand titre auprès des adversaires de l’Église, les Hohenzollern devinrent ainsi les champions du libéralisme européen. C’est plus qu’une grande ironie, c’est le scandale de notre histoire que le militarisme et l’absolutisme prussiens aient été adulés en France pendant cent cinquante années comme l’organe et l’expression de la liberté et des « idées modernes » avant d’être proposés à l’horreur et à l’exécration du monde civilisé au nom des mêmes principes.

Ce culte insensé de la Prusse grandit encore quand les principes un peu secs de l’Encyclopédie se furent mouillés de ceux