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HISTOIRE DE DEUX PEUPLES

un pouvoir fort. À l’intérieur, l’idée même de l’État, représentée par la monarchie, rencontrait — aventure qui s’est répétée cent fois, en Allemagne, en France, partout, — la résistance des intérêts particuliers, attachés à la douce habitude de prospérer aux dépens de l’intérêt commun, ennemis du bien général et de la condition du bien général qui est l’indépendance de l’État. Seigneurs de toute taille, princes, ducs, burgraves, rhingraves, toute cette poussière de dynastes allemands du moyen âge redoutait, haïssait la dynastie unique qui eût limité les pouvoirs des petites souverainetés. Pareillement, les princes ecclésiastiques, les oligarchies marchandes, la Hanse, les villes libres, les démocraties paysannes (dont les cantons suisses sont les vestiges), les pièces infiniment diverses, enfin, de la mosaïque allemande tenaient à conserver une liberté fructueuse. On se disait, par un calcul bien humain, qu’il y a un profit à tirer de chaque élection aussi longtemps que le pouvoir reste électif. L’élection, qu’elle ait lieu au suffrage universel ou au suffrage le plus restreint qu’on puisse concevoir, est une affaire, un marché, un placement. Elle a même un caractère d’échange d’autant plus commercial que le nombre des votants est moins grand et que le vote a plus de poids. Trafiquant de leur bulletin sans vergogne pour obtenir à chaque élection d’Empereur quelque avantage politique ou matériel, les Électeurs du Saint-Empire retenaient de toute leur énergie l’instrument de leur influence et la marque de leur dignité. Ceux même d’entre les princes qui n’avaient pas voix au chapitre où était proclamé le César conspiraient en faveur de l’électorat, d’où ils attendaient du moins le maintien de leur privilège et de leurs libertés.

Ainsi l’Empereur allemand, Empereur élu, ne disposait que d’une autorité à peu près nominale, rendue plus précaire par les marchandages et par les concessions, par les pourboires payés à chaque tour de scrutin. Plus les élections se renouvelaient, plus s’affaiblissait l’autorité impériale. Bonne chance pour le roi de France qui se sentit de bonne heure l’ami naturel de ces