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dont rien ne put le distraire. Pour abolir les traités de 1815, ce qui était la condition préalable d’un remaniement de l’Europe, Napoléon III procéda par étapes exactement calculées. La première fut la guerre à la Russie. Affaiblir la Russie, abattre le prestige du tsar en Europe, c’était détruire la Sainte-Alliance, c’était rendre possible une guerre contre l’Autriche afin de libérer l’Italie. La démocratie comprit à merveille ce calcul, pressentit que ses vœux allaient être remplis. La guerre de Crimée, la guerre contre le tsarisme et l’autocratie fut une guerre populaire. M. Gustave Geffroy a raconté, dans l’Enfermé, comment le révolutionnaire Blanqui fit parvenir, du fond de son cachot, ses félicitations à l’homme du Deux-Décembre en apprenant que l’Empire allait combattre la réaction moscovite. En exacte concordance, Bismarck, de son côté, a rapporté, dans ses Souvenirs, que ses yeux commencèrent à s’ouvrir, que ses sentiments profondément réactionnaires de hobereau prussien changèrent, qu’il cessa d’être partisan de la Sainte-Alliance à compter de la guerre de Crimée et qu’il conçut alors son système : profiter de tout ce que ferait Napoléon III contre les traités de 1815 pour pousser jusqu’au bout la destruction de ces traités, par qui la Prusse était enchaînée et impuissante, puis unir l’Allemagne et conférer la couronne impériale aux Hohenzollern.

Après la prise de Sébastopol et le traité de Paris, qui lui donnaient une position éminente en Europe, Napoléon III pouvait tout faire, le bien comme le mal. Ce fut le mal qu’il choisit en connaissance de cause. En vain Drouyn de Lhuys avait-il conseillé une sage et prudente politique de conservation européenne, un retour au système de Guizot et de Vergennes, une entente avec l’Autriche, de moins en moins à craindre pour nous. Napoléon III refusa avec netteté. La cause des peuples lui commandait de se servir de sa puissance en Europe pour libérer, d’abord, l’Italie. La Russie, gravement atteinte, ne pouvait plus venir au secours de Vienne. C’est la guerre contre l’Autriche que voulut et que choisit délibérément