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génie. Un agent de la monarchie, formé à l’école de Vergennes et qui avait continué de servir la France après la mort de Louis XVI, Barthélemy, prévoyait presque seul ce qui devait sortir de cet agrandissement des plus forts aux dépens des faibles. « Alors, disait-il, mais en vain, le système qui menace l’Europe des plus grands dangers se réalisera promptement, savoir : la destruction et l’envahissement de tous les petits États. L’Europe sera plus asservie que jamais, les guerres plus terribles, tout sentiment de liberté plus comprimé. » En récompense de ces avertissements, dont nous éprouvons aujourd’hui la justesse mais qui sentaient leur ci-devant d’une lieue, Barthélemy, réputé réactionnaire, devait, peu de temps après, être déporté à la Guyane.

Bonaparte professait un violent mépris pour l’idéologie de Sieyès. C’est pourtant le grand projet de remaniement du Corps germanique conçu par cet idéologue que réalisa Napoléon. Ses victoires lui servirent à modeler l’Allemagne sur un plan qui faisait pressentir une reconstitution de l’unité allemande et ouvrait la voie à cette unité. Par le « recès » de 1803, résultat de la victoire de Hohenlinden, Bonaparte portait le premier coup dans l’édifice élevé en 1648. Il simplifiait considérablement le système fédéral du Saint-Empire par la sécularisation de presque toutes les principautés ecclésiastiques et la suppression de la plus grande partie des villes libres, dont six seulement subsistèrent entre plus de cinquante. C’était, en Allemagne, comme l’a très bien dit Alfred Rambaud, une véritable révolution qui reproduisait tous les principes de la nôtre. « La révolution de 1803 en Allemagne fut relativement aussi radicale que la Révolution française. À Ratisbonne comme à Paris, on avait détruit la noblesse souveraine, les municipalités indépendantes. À Ratisbonne comme à Paris, on avait sécularisé les biens ecclésiastiques. À Ratisbonne comme à Paris, on avait réalisé plus d’unité et de centralisation. » Mais, desséchant en France, le mouvement centralisateur fut bienfaisant pour l’Allemagne, la