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qui garantissait l’équilibre européen, à réprimer le brigandage prussien. « Un envoyé autrichien, disait la reine, était encore à Berlin, quand, à la faveur même de cette apparence pacifique, le roi de Prusse a envahi un sol étranger et troublé le repos d’une province amie. On peut juger par là quel sort menace tous les princes, si une telle conduite n’est pas châtiée par leur effort commun. Il ne s’agit donc pas de l’Autriche seule ; il s’agit de tout l’Empire et de toute l'Europe. C’est l’affaire de tous les princes chrétiens de ne laisser briser impunément les liens les plus sacrés de la société humaine. Tous doivent s’unir avec la Reine et lui fournir les moyens d’éloigner d’eux un tel danger. Quant à elle, elle opposera sans crainte à l’ennemi commun toutes les forces que Dieu lui a confiées, et, de ce service rendu au bien général, elle ne demandera d’autre récompense que la réparation des dommages que ses États ont soufferts et ce qui sera nécessaire pour les garantir dans l’avenir contre de pareilles atteintes. » Langage que nous aurons encore entendu. C’était plus même que l’Europe qui était intéressée à briser la politique prussienne. Déjà c’était le monde entier. Le rapt de la Silésie eut les mêmes conséquences que l’agression contre la Belgique : le sang coula dans les parties de la planète les plus éloignées de la Prusse. C’est ce que Macaulay a montré avec éloquence dans une page fameuse :

« La question de la Silésie n’eût-elle concerné que Frédéric et Marie-Thérèse, la postérité ne pourrait pas s’empêcher de reconnaître que le roi de Prusse s’est rendu coupable d’une odieuse perfidie : mais c’est une condamnation plus sévère qu’elle se voit forcée de prononcer contre une politique qui devait avoir, et qui eut en effet, de déplorables conséquences pour toutes les nations européennes. Qu’il retombe sur la tête de Frédéric, tout le sang versé dans cette guerre qui exerça pendant plusieurs années de si horribles ravages dans tous les pays du globe : le sang de la colonne de Fontenoy, le sang des braves montagnards massacrés à Culloden ! Son crime accabla des maux les plus affreux des contrées où le nom de la Prusse était complètement inconnu. Pour qu’il pût piller un voisin qu’il avait juré de défendre, des nègres se battirent entre eux sur la côte de Coromandel, et des Peaux-Rouges se scalpèrent sur les grands lacs de l’Amérique du Nord. » Ainsi nous aurons