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plus récents, c’est que la paix, en ne tenant pas ses promesses, a laissé la France dans l’étrange situation d’un pays victorieux mais blessé. La France dispose, pour un temps qu’on ne saurait calculer, de la plus grande force militaire de l’Europe. On s’efforce de la lui arracher par le désarmement. Cependant elle n’a plus de marine et elle possède un vaste domaine colonial — encore accru de la Syrie, — qu’elle serait incapable de défendre : toute notre histoire enseigne que c’est une dangereuse position.

Les réparations sur lesquelles la France comptait n’étant pas payées et risquant de ne pas l’être, nous sommes, en dépit de la victoire, un peuple qui a été envahi et dévasté. Le mal que l’Allemagne nous a causé avec intention nous reste et nous sommes, à cet égard, comme si nous avions été vaincus. Par ses propres moyens, par sa propre épargne, la France a déjà relevé une grande partie de ses ruines. Mais l’œuvre n’est pas finie. Elle a déjà exigé des capitaux considérables qui, ajoutés aux énormes dépenses de la guerre, forment une dette colossale dont l'évaluation exacte est difficile parce que nous sommes revenus au régime du papier-monnaie. Les difficultés financières, lorsqu’elles sont très graves, deviennent des difficultés politiques : nous l’avons vu à la fin de l’ancien régime et sous la Révolution. La question des impôts, lorsque l’imposition doit être très lourde, est redoutable parce qu’elle provoque des résistances et favorise la démagogie : c’est le cas qui s’est présenté à plus d’un moment de notre histoire. Un gouvernement faible est tenté par l’expédient trop facile des assignats, qui provoque la ruine. D’autre part, compter sur les sacrifices raisonnés et volontaires de toutes les parties de la nation est bien chanceux. D’après l’expérience des siècles passés, on peut se demander si la question d’argent ne sera pas, pendant assez longtemps, à la base de la politique, si, au-dedans et au-dehors, notre politique n’en dépendra pas, si, enfin, le pouvoir ne tendra pas à se renforcer et à sortir des règles de la démocratie parlementaire pour soustraire les mesures de salut public à la discussion. A l'heure où nous terminons ce volume, la République en est déjà au régime des décrets-lois et il n'est pas sûr qu'il soit suffisant. Qu'une majorité repousse ou renverse ce régime, renouvelé de l'Empire napoléonien, il faudra renoncer à des finances régulières et