Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prononcé à temps, pouvait encore faire réfléchir l’Allemagne. L’Angleterre a un Parlement, des ministres libéraux et pacifistes, et elle n’interviendra qu’au moment où la Belgique sera envahie. La France est bien obligée, le 2 août, de mobiliser à son tour : on rassure encore les Français, on leur dit que « la mobilisation n’est pas la guerre ». Viviani ordonne que nos troupes se retirent à 10 kilomètres de la frontière pour prouver que nous ne sommes pas les agresseurs. Mais il était impossible de refuser le combat. Si nous avions déclaré notre neutralité, renié l’alliance russe, l’Allemagne aurait exigé comme gage la remise de Toul et de Verdun. Elle aurait battu la Russie et nous eût ensuite tenus à sa discrétion. La France devait se défendre ou accepter le joug.

Le peuple français le comprit. La mobilisation, bien préparée par notre état-major, eut lieu non seulement avec ordre, mais avec confiance. C’était sur notre décadence que l’Allemagne avait compté. Elle avait cru que la guerre serait chez nous le signal d’une révolution qui fut même annoncée dans les pays de l’Europe centrale. Elle se trompait. L’assassinat du chef socialiste Jaurès, dans la soirée du 31 juillet, n’avait pas causé le moindre trouble. Pour sa défense, la nation fut unie. Ce qu’elle ne savait pas, c’était à quel point sa préparation matérielle à la guerre était insuffisante, à quel carnage elle allait. La troupe portait encore le vieux pantalon rouge, véritable cible. Notre canon de 75, arme redoutable, ne pouvait rien contre la supériorité des Allemands en grosse artillerie. Des années de négligence et d’imprévoyance furent payées par la vie de milliers et de milliers de Français.

La colère contre l’agresseur avait, d’un seul coup, balayé beaucoup d’illusions. Ce qui soutenait la confiance, c’était que, cette fois, nous n’étions pas seuls comme en 1870. On savait les Allemands forts et nombreux. Mais la Russie, réservoir d’hommes, quelle compensation ! Et puis, des alliés, nous ne cesserions pas d’en avoir de nouveaux. Le 3 août, l’Allemagne nous déclare la guerre. Dès la veille, violant des traités, elle a sommé le gouvernement belge de livrer passage à ses armées, et la Belgique décide tout de suite de se défendre. Cette décision obligeait l’Angleterre, encore hésitante, à intervenir, parce qu’elle avait promis, en 1839, de garantir la neutralité