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de ses pas, à un moment où il n’y avait plus de bonne volonté nulle part. Au fond, le plus grand sujet de mécontentement et d’inquiétude, c’était la question d’argent. Les privilégiés redoutaient les impôts : une assemblée du clergé, réunie par Brienne qui en espérait un subside, le refusa net, déclara, tant le prétexte était commode, que le peuple français n’était pas imposable à volonté. D’autre part, les nombreux créanciers de l’État et porteurs de rentes s’alarmaient. Personne ne voulait payer, les rentiers voulaient l’être. Tout le monde comptait sur les états généraux, soit pour échapper à la taxation, soit pour garantir le paiement de la dette publique : autant de Gribouilles impatients de se jeter à l’eau de peur d’être mouillés. Cependant les impôts existants rentraient mal, parce que le nouveau mécanisme des assemblées provinciales ne fonctionnait pas encore bien. Les ressources du Trésor étaient taries, parce que, la confiance étant ébranlée, sinon détruite, on ne souscrivait plus aux emprunts, tandis que les banquiers refusaient des avances. Le gouvernement, non sans courage, lutta encore pendant quelques mois contre vents et marées, ne renonçant pas aux réformes, persistant à se montrer plus libéral que le Parlement, le forçant à donner aux protestants un état civil. En mettant tout au mieux, il eût fallu au pouvoir cinq ans de tranquillité pour rétablir un peu d’ordre dans les finances. Ce répit, il était trop tard pour l’obtenir. Les Parlements avaient parlé, plus fort que tout le monde, d’états généraux, de liberté individuelle, d’abolition des lettres de cachet. L’opinion publique prenait le parti des Parlements dont la résistance paralysait l’État et l’acculait à la faillite par le refus des impôts. La Révolution commença ainsi comme avait commencé la Fronde, avec cette différence que, cette fois, la province donna le signal du mouvement, Paris n’ayant vu encore que quelques manifestations sans portée.

En Bretagne, en Dauphiné, en Béarn, les mesures de rigueur prises contre les Parlements réfractaires déterminèrent une sérieuse agitation. Il y avait, dans ces provinces réunies plus ou moins tardivement au royaume, un bizarre mélange, celui qui se retrouvait jusque dans l’esprit du roi, d’idées anciennes et nouvelles, d’attachement aux vieilles franchises, diminuées ou menacées, et d’enthousiasme pour les principes libéraux.