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CHAPITRE XI

LE PREMIER JOUR DE LA MOBILISATION EST LE DIMANCHE 2 AOUT


_______________— Plus d'un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Baudelaire.


À vingt et un ans, tout Français entre en possession de deux papiers redoutables : sa carte d’électeur et son fascicule de mobilisation. De l’usage qu’il fait de l’une dépend le sort que lui réserve l’autre. Mais ce rapport s’établit dans des régions lointaines, inaccessibles à la vue du simple citoyen, trop naturellement soucieux de ses intérêts immédiats pour porter son regard au delà de ses commodités présentes et de son horizon privé. Combien de Français, jusqu’au 2 août 1914, seront morts de leur mort naturelle en se disant qu’en somme il avait fait bon vivre, depuis l’année terrible, et que la France républicaine n’était pas une si mauvaise maison ! La bourgeoisie touchait ses rentes, ses loyers, ses dividendes et payait des impôts supportables. « Nous prenons notre bien en patience », disait une grande dame au temps du ralliement. En effet, de quoi se serait-on plaint ? Une justice distributive bien réglée faisait que chacun avait son tour et rendait très faible le nombre des mécontents : la chose publique était la seule négligée. Quand les ouvriers étaient servis, on n’oubliait pas les patrons. Le bien-être des possédants était un droit comme le « mieux être » des prolétaires. Le socialisme n’effrayait plus sérieusement personne depuis qu’il avait perdu les aspects farouches du communisme partageur et que, de révolutionnaire, il était devenu évolutionniste. Il faisait même bon