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dans le boulangisme, c’était d’abord ce déclassement des partis. Là aussi était le péril. Ce mouvement, ce tumulte gaulois réunissait des hommes de toute origine dans une même protestation. Si le boulangisme syndiquait beaucoup de mécontentements très divers, son fonds solide, c’était le patriotisme blessé. C’était la question d’Alsace et la question allemande. C’était de savoir si la France serait gouvernée par des hommes résignés à courber la tête et qui, à la longue, finiraient par s’entendre expressément avec Bismarck, ce qui était dans la logique du système de Ferry : l’instinct français ne s’y trompait pas.

Ainsi la politique de Thiers et de Grévy, qui avait servi à fonder la République, risquait de la renverser. Trop de prudence avait créé un autre péril. Paris révolutionnaire, Paris communard, radical ou bien boulangiste, c’était toujours Paris patriote. Paris demandait la dictature d’un général et pourtant ce général n’avait gagné aucune bataille. Mais c’était le ministre de la guerre qui, selon le mot de Maurice Barrès, avait « relevé le pompon du soldat ». Quelques paroles, une attitude, un certain nombre de mesures militaires qui montraient où allait l’esprit de Boulanger avaient suffi. La politique du rapprochement avec l’Allemagne avait produit cette explosion de « nationalisme ».

Le 27 janvier 1889, par une élection triomphale, Paris plébiscita le cheval noir de Boulanger. Que le médiocre héros de cet enthousiasme fût capable de le vouloir, et il était, le soir même, le maître du gouvernement. « S’il s’était porté sur l’Élysée à la tête de la Ligue des Patriotes et suivi du flot de ses partisans, qui peut dire qu’il n’eût pas balayé les obstacles ? Il y avait alors bien de l’ébranlement chez les gardiens de l’ordre public. » M. de Freycinet, qui donne cette note, était bien placé pour savoir que le sort de la République parlementaire ne tint ce soir-là qu’à un fil. Né d’un père républicain qui savait par cœur les Châtiments, Boulanger recula devant un coup d’État et voulut ne tenir le pouvoir que de la légalité. Quelle erreur de calcul ! Quelle méconnaissance de l’esprit moyen des Français ! Même si la ruse d’un ministre de l’Intérieur n’eût réussi à lui faire passer la frontière, la cause de Boulanger devait succomber quelques mois plus tard devant le