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sager que l’Allemagne, alors, serait disposée à acheter l’alliance française par des compensations qui pourraient rendre une guerre inutile ».

En 1918, cette pensée, cette politique auraient conduit tout droit en Haute-Cour. Faisons, et faisons très large, la part des circonstances. Représentons-nous les responsabilités de Thiers qui savait Bismarck désireux de casser une bonne fois les reins à la France, et qui s’appliquait à calmer l’ogre. Dans son esprit, le renoncement, précurseur d’un rapprochement avec l’Allemagne, était pourtant un système.

Gambetta devait s’y rallier après quelques mois d’hésitation. Sans doute, il avait compris la politique de Thiers. Il lui restait soit à garder son attitude de « fou furieux » et à faire échouer la République par son intransigeance, soit à aider la manœuvre des modérés. Le parti de Gambetta était pris dès le mois de juin 1871. L’opportunisme était fondé. « L’âge héroïque, l’âge chevaleresque est passé », disait-il aux républicains. Et il les invitait à être « un parti pratique, un parti de gouvernement ». Il leur demandait de « savoir patienter ». Il condamnait les « utopies » et, comme Thiers lui-même, il ne parlait que de sagesse. Par d'habiles formules, il masquait sa retraite. Il savait que son nom était un épouvantail, que les souvenirs de la Défense nationale et de la guerre à outrance le rendaient inacceptable, non seulement dans le pays mais aussi à Berlin. Et le mot d’ordre de celui qu’avait élu l’Alsace fut d’« y penser toujours, de n’en parler jamais ». Ni question sociale, ni revanche : moyennant quoi le succès de la République était assuré.

Tandis que Thiers, perspicace autant qu’habile, retournait la situation au profit du régime républicain et gagnait un temps précieux, que faisaient les monarchistes, maîtres de l’Assemblée ? Oh ! cette fois, ils étaient résolus à ne pas laisser échapper l’occasion. Ils ne voulaient pas être impuissants et dupes, comme en 1851, lorsque le coup d’État avait escamoté la majorité dont ils n’avaient rien su faire. Mais, avant d’agir, il leur restait à se réconcilier, à mettre d’accord le droit divin et la « révolution légale », la Charte et la constitution. Il leur restait à effacer les