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monde en supprimant les barrières et les garanties qui retenaient encore les passions des peuples et les ambitions des États. La Confédération germanique, dont le statut avait été établi en 1815, était pour l’Europe une garantie contre le péril allemand. La Prusse était maintenue dans un rang secondaire, l’Allemagne restait divisée et l’Autriche était chargée de la surveillance du système.

La France n’était pas la moins intéressée au respect des règles sur lesquelles reposait la Confédération germanique, puisque c’était essentiellement contre l’unité allemande, dirigée par la Prusse, que ces précautions avaient été prises. Mais, à Paris, parmi les orateurs, les écrivains, les hommes politiques, guides de l’opinion, amers censeurs du pouvoir, chefs de la démocratie du lendemain, qui donc se souciait du péril allemand ? Guizot, venu, sous l’influence du roi, à une juste appréciation des choses, n’était pas compris, il était presque conspué lorsqu’il disait, un an juste avant la Révolution de février : « Nous sommes frappés du grand parti que la Prusse peut désormais tirer, en Allemagne, des deux idées qu’elle tend peu à peu à s’approprier l’unité germanique et l’esprit libéral. » Thiers, par esprit d’opposition, soutenait alors la thèse contraire de celle qu’il devait défendre avec éclat, mais trop tard, contre le second Empire. Il en tenait pour l’unité italienne, pour l’unité allemande, pour le droit des peuples. Il reprochait à Guizot de méconnaître « l’état du monde ». Il voulait que la France prît la tête de la cause révolutionnaire en Europe, qu’elle servît partout l’idée des nationalités. « Je voudrais, disait-il, que la France fût représentée les yeux sur un livre, livre qui contînt les droits de l’humanité, et la main appuyée sur une épée où on lirait, gravés sur la lame : Zurich, Austerlitz, Friedland. » Et Thiers s’est étonné du coup d’État ! Il s’est plaint de Napoléon III et de l’Empire !…

À ce moment, du reste, l’Angleterre libérale tombait dans la même erreur. Partout, en Europe, Palmerston soutenait les nationalités. Il se flattait de posséder la clef des révolutions, et il en attendait de la puissance et de la grandeur pour l’Angleterre qui aurait dirigé le mouvement. Mais la vraie révolution du dix-neuvième siècle, ce devait être celle qui ferait de l’Allemagne une seule nation, ambitieuse et pleine de vitalité comme