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c’était celle de l’affranchissement universel. La liberté serait la formule magique de notre grandeur. La France se devait à elle-même de briser les chaînes des nationalités. À la Sainte-Alliance des rois, elle substituerait la Sainte-Alliance des peuples. Des maximes de 89, naîtraient les États-Unis d’Europe. Alors tous les problèmes seraient résolus. Les conflits n’auraient plus de causes. Sur les races apaisées, devenues semblables par les institutions et par les mœurs, régnerait, dans un monde fraternel, une paix et une joie sans mélange, sous l’égide de la nation française, mère aimée de tous ces bienfaits…

Ce rêve, la Révolution l’avait parfois entrevu. Il mêlait, à des chimères ignorantes, des souvenirs confus, mal compris, de la politique généreuse, raisonnée et féconde que la France avait pratiquée comme protectrice des faibles dans son dessein constant d’empêcher une hégémonie en Europe. La guerre, l’action, les victoires sous des généraux heureux, avaient dissipé cette rêverie qui, très vite, avait fait place au goût de la domination et à l’appétit des conquêtes. Mais, loin de ramener les esprits à la réalité, la chute de l’empire napoléonien fit renaître le vieux songe obscurci. Ce songe grandit, il prit des formes précises, lorsque, de Sainte-Hélène, monta la voix de celui qui, déjà, avait manié et partagé le vieux monde.

Napoléon disait ce qu’il eût voulu faire, ce que la méchanceté des rois, les retours offensifs du passé ne lui avaient pas permis de finir. Waterloo avait été la tombe des peuples libres. Napoléon convoquait le peuple français à reprendre, avec lui ou avec les siens, l’œuvre interrompue. « Il y a des désirs de nationalité qu’il faut satisfaire tôt ou tard », disait la voix du captif. Allemagne, Italie, Pologne sont nos sœurs. Elles doivent être affranchies et unifiées comme nous-mêmes. Nul peuple ne doit plus souffrir. Aucun ne doit rester sous la tyrannie d’un autre et toutes les fractions d’une même race qui veulent se rassembler, vivre d’une vie commune, ne devront plus être séparées à l’avenir. « On compte, en Europe, bien qu’épars, plus de trente millions de Français, quinze millions d’Espagnols, quinze millions d’Italiens, trente millions d’Allemands, disait le Mémorial. J’eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation. » Voilà donc pour-