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que cet heureux événement, en arrachant la France à une anarchie prochaine et certaine, ne lui rende trop de chances de se relever ? Dans la bienveillance qu’on témoignait à M. Thiers, ne se mêlait-il pas quelque calcul machiavélique ? Ne pensait-on pas, sans le dire, peut-être sans se l’avouer à soi-même, que le pouvoir d’un vieillard dominé par de mauvais conseillers ne donnait à la France qu’un repos matériel de quelques jours, nécessaire pour le paiement de notre dette, mais qui serait suivi de nouveaux désastres dont on se réservait de profiter ? En un mot, verra-t-on sans déplaisir la France arrachée à la certitude de sa ruine ?

À ces questions de M. de Broglie, M. de Gontaut-Biron répondit avec une sûreté de jugement que tous les événements ont confirmée et que ne pourra manquer d’admirer l’histoire : « On a vu avec plaisir en Allemagne », écrivait-il au ministre :

l’arrêt mis aux progrès du radicalisme par l’avènement du nouveau gouvernement ; mais on veut que la convalescence de la France se prolonge bien longtemps ; on ne désire pas son rétablissement. C’est le sentiment en particulier du prince de Bismarck et son esprit hardi en même temps qu’ingénieux ne négligera pas les occasions de nous empêcher de nous relever[1].

Il va sans dire que M. de Gontaut-Biron était la dernière personne à qui Bismarck eût songé à s’ouvrir de ses opinions sur les affaires de France. Mis en éveil par son patriotisme autant que par les avis de M. de Broglie, bien placé, grâce à la faveur qu’il avait acquise à la cour, pour voir, pour entendre et pour comprendre, notre ambassadeur réussit à

  1. Mon ambassade en Allemagne, p. 381