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nuages, dont il faut que je me demande les uns où ils vont, les autres d’où ils viennent. Il y a tout là-bas la veste rouge de Wannus qui rentre avec sa bêche ; il y a le soir qui sent bon, une chaumière qui fume. Il y a…

— Chéri, tant que tu ne fais rien, veux-tu…

D’abord, je fais toujours quelque chose…

J’ai dit à Marie :

— Je me charge de puiser l’eau.

C’est ma fonction. Le seau descend dans la citerne, au bout d’une longue perche, suspendue elle-même à un gros tronc d’arbre, en équilibre sur un autre tronc. Cela ne paraît pas, mais c’est moins compliqué qu’une pompe.

Pour que ce soit tout à fait beau, il faut d’un seul coup basculer le seau et le remplir jusqu’au bord. Quand je puise de l’eau, j’y mets du style. Si ça rate, je recommence. Que Marie qui attend, attende.

Chaque matin, je pars avec ma brouette récolter dans les champs des Baerkaelens les mauvaises herbes pour mes poules : il y a du mourron, de l’oseille sauvage, un chou en trichant, d’autres plantes dont il faudrait demander le nom à mes poules qui les aiment.

Comme c’est le matin, les champs ont encore toute leur rosée :

— Pourquoi, me dit Benooi, ne pas venir plus tard ? Vous ne vous mouilleriez pas ainsi.

Mais j’aime à me mouiller. Je mets des bottes, je patauge entre les betteraves qui me versent toute l’eau de leurs feuilles et Spitz qui me suit a l’air de nager.

Nous nous fatiguons très fort, car l’herbe qui pousse ici me paraît moins savoureuse que l’herbe qui pousse là-bas. Alors, il faut que je m’y rende.

Derrière mon enclos, je défriche un coin de la lande. Cela deviendra un champ très vaste, plus tard, car il faut du temps. Coriace, la bruyère résiste sous ma bêche : entre chaque pelletée je dois me reposer d’une pipe.