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— Il y a aussi les enfants, Phrasie. Ils sont cinq, je crois ?

— Sept, Monsieur. Pourtant les enfants, c’est le moins : ça pousse tout seul. Mais les grosses bêtes : les vaches, le bœuf…

— … le veau ! Phrasie.

Très sérieuse, Phrasie pense au veau.

— Vous savez, dit-elle, le rosaire, ce sera pour ce soir, à 8 heures. Vous viendrez ?

— Oui, Phrasie.

C’est une baraque, comme la mienne, du côté des Grandes Mares. Quand j’arrive le soir, je ne suis pas le premier. Voisins et voisines attendent déjà sur des chaises, silencieux, leurs sabots rangés près du seuil, avec les lanternes pour le retour. Par convenance, j’avais mis des bottines et je pose mes pieds en douceur, honteux de mes semelles sur le sable qui grince.

Guido n’a pas levé la tête. Il se tient près de l’âtre, courbé connue s’il se chauffait. Seulement l’âtre est éteint. Une grosse marmite pend toute noire au bout de sa crémaillère. Elle fume un peu. Près de lui, sur un banc ses quatre garçons laissent pendre leurs huit petites jambes nues. On a couché les fillettes trop jeunes pour rester si longtemps les mains jointes. Leurs lits se suivent au long du mur, sous deux cadres, où Jésus et sa Mère tiennent, chacun dans la main, un cœur tout rouge qui brûle.

D’autres voisins arrivent, enlèvent leurs sabots et en chaussettes ou pieds nus, cherchent une place. On a réservé la meilleure pour Gille qui récitera le rosaire parce qu’il est le voisin le plus proche. Chacun assume ainsi sa tâche. Le jour des funérailles, Fons ira sonner les cloches, Nelis prêtera sa charrette pour le corps, Benooi sa jument. Les autres prieront.

À 8 heures, Gilles, le boiteux, arrive en boitant comme toujours, très grand d’abord, puis très petit, puis comme tout le monde quand il s’assied. Avant que l’on commence, Guido ouvre à côté la chambre de la morte, afin qu’elle soit plus près. On ne voit qu’un trou noir, avec quelque chose de blanc, sans doute un coin du lit où elle dort.

— Au nom du Père…

Gille fait un grand signe de croix appris chez les Trappistes.