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Le moment en effet est grave. Marmiton docile, j’attends les ordres :

— Vite, le sel.

Je passe le sel.

— Encore du sucre.

Je passe le sucre.

Pour rien au monde, je ne passerais le poivre quand elle réclame du safran.

— Et maintenant, dit Marie, goûte.

La langue dehors, je reçois un peu de cette crème. J’avale :

— Délicieuse, Marie.

— Oui, mais, insiste Marie, tu es sûr, il ne manque rien ? Une seconde fois, je goûte, les yeux fermés, parce qu’on juge mieux.

— Non, Marie, elle est parfaite, et même, dis, Marie, si tu veux, nous pourrions la manger tout de suite.

— Ne blague pas, fait Marie, tu sais bien, il faut d’abord qu’elle lève.

Respectueusement, nous transportons la pâte sur une chaise, près du feu, où elle devient tout à coup un important personnage. On l’a recouverte d’un linge. Elle a besoin de chaleur et de calme. Elle accepte de se gonfler, de remplir à elle seule sa terrine, mais qu’on n’y touche pas ou, boudeuse, elle s’affalerait et ne recommencerait plus.

— Ici, Spitz, ici.

Il faut que je retienne mon invité qui voudrait savoir de trop près ce qui se passe dans ce plat.

Marie seule a le droit.

Religieusement elle le découvre : « Ça commence, » dit-elle.

Un peu plus tard : « Ça monte. »

Bientôt, sans qu’elle l’annonce, ça déborde.

C’est alors qu’il devient amusant de faire des crêpes.

Versée dans la poêle, « Pchttt » siffle la pâte furieuse d’avoir si chaud. Elle n’a pas assez de bouches pour souffler sa colère et par tout le corps s’en ouvre de nouvelles, chacune avec son juron de vapeur. Mais, bientôt, elle se calme et se résigne à durcir ; elle ne blasphème plus, elle rissole. Devenue croustillante, on peut la chipoter, lui arracher un morceau de son