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nous en ferons beaucoup, des piles, de quoi en manger toute la semaine.

— Oh ! alors, je veux bien, dit Marie que je parviens toujours à consoler par le ventre.

Pendant toute la journée nous sommes ceux qui vont se régaler de crêpes.

— Oh ! oh ! des crêpes, fait Benooi qui me pèse sa farine, largement, parce qu’il en retrouvera sa part.

— Hé ! hé ! des crêpes, se pourlèche le brasseur qui me verse, hors d’une belle cruche, plus que pour mes trois sous de levure.

— Des crêpes, dis-je à Spitz.

— Des crêpes, Fox.

— Des crêpes, mes poules, dis-je le soir en les chassant une heure plus tôt dans leur lit.

La lampe allumée, Marie commence sa besogne. Pour que ce soit fête entièrement, elle a rangé sa cuisine, ondulé ses cheveux, mis sa belle jupe et je parie qu’en dessous elle s’est lavée toute nue. Moi, j’ai invité Spitz.

C’est l’heure où les malins de la ville se font, avec du carton, une autre gueule. Marie n’y pense plus : elle est toute à sa pâte. Banal de dire qu’elle officie, et pourtant M. le curé n’est pas plus sérieux quand il dit sa messe. Voici le beau lait que l’on verse, tout blanc, dans la terrine ; voici la farine que l’on délaie, la cannelle que l’on dose, « juste assez », le sucre, « beaucoup » :

— Parce que tu l’aimes.

Par moments, elle avale sa salive, tant ce qu’elle prépare sera bon.

— Il ne s’agit pas, dit Marie, de mêler tout cela au hasard et de croire qu’on aura des crêpes : il faut des soins.

— Oui, Marie, beaucoup de soins.

Heureuse d’être comprise, Marie continue à tourner dans sa pâte. C’est doux, c’est blanc, moelleux à l’œil ; cela fait : « cloc, cloc », comme un beau ventre de femme qu’on tapote.

— Chut, gronde Marie, ne parle pas de cela… maintenant.