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s’étonnent pas qu’on ait la tête rase et des lignes jaunes sur la casaque.

On lui donne du pain, qu’il en mange… à boire parce qu’il a soif.

— Dieu soit avec vous !

Et vraiment, le bougre, il en a bien besoin.

Celui qui frappe à ma porte n’a pas à me dire d’où il vient. Il a frappé trois petits coups en s’assurant, derrière lui, que personne n’était là pour le voir, et maintenant il attend, l’œil sur cette porte qui pourrait ne pas s’ouvrir.

C’est un matin brumeux de septembre qui s’égoutte en bruine.

Il n’a déjà plus sa veste de colon. Encore jeune, bien découplé, il serait droit si le froid du brouillard ne le secouait pas si fort. Il a une figure restée fraîche, des mains trop intelligentes pour un paysan qui rôde en blouse à 4 heures du matin.

Comme j’ouvre la porte, il les cache.

— Entrez.

— Après vous.

Il fait des manières : un ancien quelqu’un de la ville. Je fais signe à Marie qu’elle nous laisse.

Il n’a pas vu beaucoup de fermes. Il examine celle-ci : ce plafond bas en planches, ce Christ au mur, ces choses de pauvre qui ne ressemblent pas à celles des pauvres de la ville. Et puis ce grand trou noir avec des flammes. Mais cela réchauffe ; on trouve, là, une brave bête de chat auquel il fait bon se caresser les doigts tout le long de la peau.

— Asseyez-vous.

Je l’installe devant la table, près de la fenêtre, d’où l’on peut voir la route ou, si l’on préfère, la surveiller.

Je ne lui demande pas : « Avez-vous faim ? » Je suis un bon homme de paysan qui ouvre sa porte quand on frappe. Qu’ai-je besoin de savoir pourquoi sa blouse pend trop large ; et ces brindilles, partout dans sa culotte, est-ce que cela me regarde ? C’est un voyageur, n’est-ce pas, qui manque d’argent parce que cela arrive, et qui partira tout à l’heure. En attendant, qu’il mange : voici le pain, voici du lait, voici le grand couteau, de