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voyage. Ils ont vu, puis revu ce pays, ces laudes, ces bois, où peut-être on serait bien, s’il y avait moins de murailles et pas tant de barreaux.

Les barreaux, n’est-ce pas ? c’est utile, et aussi les verroux, et aussi les gardes qui, les mains dans le dos à ne rien faire, vous montrent, sacré nom de Dieu ! comment on travaille quand on n’a pas de revolver à la ceinture, ni de bottes à vous fiche au derrière.

De la route, ceux qui vont libres peuvent les voir. Misère ! Pour qu’on sache qu’ils sont moins que des hommes, on leur a tondu la tête, rasé les joues et collé sur le dos une casaque dont les raies jaunes se distinguent de loin.

— Demi-tour à droite ! Demi-tour à gauche ! Halte ! Fixe !

Ils tournent, se détournent, s’arrêtent, les vieux dont les mains tremblent, les jeunes qui auraient vraiment autre chose à faire. Ils remplissent de terre des brouettes, puis les vident, puis de nouveau les remplissent. Avec la pioche, dans le sable, ils creusent de grands trous qui ne servent à rien, et qu’ils bouchent avec de l’autre sable.

Et pendant un an, pendant trois ans, pendant sept ans, ils travaillent, tant que le juge les retrouve et qu’ils recommencent.

Ils apprennent ainsi qu’il faut aimer le devoir, aimer les hommes qui les choient, aimer le logis où il fait bon sous la lampe, près de la femme qui brode et de l’enfant qui rit.

Quelquefois, l’un d’eux reste en arrière. Il saute dans un de ces grands trous qui, tout à coup, sert à quelque chose. Les camarades ne disent rien ; il les écoute partir, puis la grande porte se refermer sans lui.

Libre ! Il est libre, libre Comme les loups, de marcher la nuit et par les bois, ou très tôt quand les gardes sont encore à cajoler leurs femmes. Il dort dans les fossés. Une vie ! il donnerait une vie pour se mettre, sur le dos, une blouse qui ne ferait plus dire aux gendarmes : « Hé ! hé ! voilà du gibier pour nous sous ce buisson ! »

Quand il a faim, il se risque vers un seuil, non vers les grands dont on compte les marches, mais vers les plus humbles et par la porte de derrière, là où sont des gens presque comme lui, qui ne