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quelques jours, mais au fond, Monsieur était bon. Au Refuge, où il l’avait choisie, dans la cuisine où il s’extasiait : « Des soleils, vos marmites ! » elle n’avait jamais cru parvenir aux lèvres d’un homme, à travers la barbe de Monsieur. Elle ne le souhaitait même pas ; mais à présent qu’on lui avait ouvert ce chemin, elle y passait, ni surprise, ni triste.

Triste ? Yvonne suffisait à sa tristesse, la pauvre petite qui était morte. Voilà pour le jour.

Surprise ? Un homme passe les doigts dans sa barbe et cette barbe est belle ; il a des yeux qui, descendant au fond de vous, en ramènent des choses ; cet homme est votre maître ; il vous dit : « N’aie pas peur » ; on est docile ; on n’a pas peur, on reste dans ce lit ou, quand on n’y est pas, on y entre. Voilà pour la nuit.

Dans ce lit, Marie entrait sans gêne, du moins pour elle. Certes, aux voisins, elle n’eût pas annoncé : « Je suis la maîtresse de Monsieur. » D’abord elle ne l’était pas ; voyez son tablier ; elle restait la servante. Et puis, Monsieur n’agissait peut-être pas suivant les convenances des maîtres envers leurs sujets. À cause de cela, mieux valait se taire.

Pour elle, on avait mis aux extrémités de son corps des pieds, des mains, une tête : les pieds étaient pour marcher, les mains pour frotter, la tête pour réfléchir à ces besognes. Et s’il s’étendait, entre les pieds et la tête, des intervalles qui la nuit convenaient au service du maître ?

Ces intervalles, le jour, se cachent sous la robe. Celle-ci s’enlève le soir. Alors il reste de la chair,