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quelqu’un entra, puis sortit ; on dressa la table, on mangea :

— Je n’ai pas faim.

Elle ne bougeait pas, elle ne vivait pas : elle était là.

Le soir, on alluma la lampe, on poussa les verrous.

— Votre chambre est prête.

Elle se tourna vers l’enfant :

— Je veillerai là.

Elle fut seule. Elle dut s’occuper d’un gros chat qui rôdait autour de la berce : on dit que les chats mangent les morts ; ils commencent par les yeux.

— Partez, vilaine bête.

Elle le prit sur ses genoux. Après, elle voulut voir ce qu’était devenue son Yvonne : à tâtons, par-dessus les couvertures, elle chercha les petites jambes, mais elle n’osa jamais découvrir ce corps qui n’appartenait déjà plus aux vivants. Tout ce qu’elle risqua, ce fut de déposer ses lèvres sur le front et encore, en les retirant vite, tant ce front était froid.

Ensuite, il n’y eut plus rien. Les larmes qui s’étaient refusées tantôt ne venaient toujours pas. Elle attendait sur sa chaise ; elle tenait les yeux ouverts : un chat sur les genoux, elle était là…

Le lendemain un homme vint avec une caisse, si petite qu’elle semblait à peine un cercueil. En le voyant, elle n’eut plus peur. C’est votre chair, tout votre corps de mère, qu’avec l’enfant on va coucher entre ces planches. Elle pensa se jeter sur cet homme. On la retint.