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elle ; ils regardaient ailleurs, ils regardaient droit devant eux, vers le mur. Elle connaissait, par d’autres, ces yeux qui n’ont plus de regard pour la femme. Elle eut peur, elle supplia :

— Henry.

Il dit :

— Voilà, Marie, je vais te faire de la peine… il le faut… Depuis des mois, comme nous vivons, ce n’est plus vivre.

— Mais si…

— Non. Il vaudrait mieux, pour quelque temps, que nous ne vivions plus ensemble. Je partirai tantôt.

Partir ! Oh ! oui, elle entendit ce mot ; elle dut le répéter, le tourner sur sa langue, comme un morceau de pain pour en trouver le goût, et même quand elle eut goûté le poison de ce mot, qu’Henry voulût partir, ce n’était pas vrai. Elle dit :

— Partir… Comment partir ? Tu es fou ?

Pourtant si. Un jour il avait dit : « Maman, je blague, mais supposons que je veuille m’en aller, on s’arrangerait ; nous ferions ceci et cela… » Elle avait ri : « C’est entendu. » Et maintenant, tous ces « ceci », tous ces « cela », il les reprit : « Nous les ferons » et il ne riait plus.

C’est déjà vilain quand on frappe ; mais quand d’avance on a préparé le coup :

— Henry, Henry, dit-elle, je n’aurais jamais cru cela de toi…

Et qu’Henry eût fait cela comme les autres, elle sentit dans son corps quelque chose de froid, une force qui s’en allait de ses jambes, des larmes aussi, comme si toute la joie de son cœur s’échappait et devenait de l’eau.