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des amis, ils se tenaient côte à côte. Nous étions là dedans, amis aussi, lui tout petit d’être vieux, moi plus petit parce que j’étais gosse. À deux, nous étions les enfants de tante : elle avait des lunettes. Nous n’osions pas bouger.

« Là, sur la cheminée, tu vois ce petit Jésus. Regarde, il porte de travers sa couronne. C’est moi qui l’ai mise de travers, un jour avec mes lèvres, en voulant l’embrasser. On l’a laissée ainsi. Tante m’aimait : elle espérait que je deviendrais prêtre… Moi, Marie, je n’ai jamais réussi qu’à renverser des couronnes. Je lui ai fait beaucoup de peine.

« Et là, maman, tu vois cette chaise : elle avait déjà ce trou dans sa paille : c’est, oserai-je le dire, ma première gifle. Je l’ai reçue, la seule. Oui, tu devines… Je touchais autre chose que les petits Jésus avec mes lèvres. Tante disait : « Avec cette femme tu perdras ton âme ». J’ai nargué : « Depuis longtemps, elle m’a jusqu’au fond dévoré l’âme. » J’ai mérité ma gifle.

« Et ce cendrier. Elles n’y sont plus, les cendres. Un jour elles y étaient : quelques cendres de cigare. Depuis deux ans, après la gifle, je n’avais plus revu grand-père. Et voilà il était mort. Une dépêche, j’étais revenu. Lui là-haut, se trouvait déjà dans sa bière. Moi, ici, je m’accoudais et là dans le cendrier, de son dernier cigare un peu de cendre… Je tenais encore mon chapeau. Tante me regardait… Alors j’ai pleuré.

Il en resta là. Tante revenait. Elle avait des verres bleus pour arrêter la lumière qui fait mal dans les yeux. Elle embrassa Marie. Elle