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Les arbres qu’il voyait à gauche montaient haut, parce que les tombes en dessous étaient vieilles. Il n’apercevait plus ces ruines. Entre les saules et les ifs, sa pensée ouvrait son ombrelle et faisait la belle dame comme dans un vrai parc. Les arbres de droite étaient frais, jeunes, un peu mesquins comme les regrets éternels qui les avaient plantés. Il voyait, par-dessus leurs branches, des pierres, des couronnes ou quelques lettres d’épitaphes. Entre autres, sur une chapelle, il pouvait lire : « Sépulture de la famille Chaudecuve. » Il y avait même le buste en marbre de ce M. Chaudecuve.

En somme, un beau cimetière : l’été, il sentait bon les roses ; il y venait au moins trois corbillards par jour.

De sa fenêtre, il regardait les gens qui marchent derrière les corbillards ; ce sont des gens qui pleurent. Il riait. Ailleurs, devant une autre fenêtre, il aurait vu d’autres gens, qui sait ? des gens qui rient, et sans doute eût-il ri. Il aimait rire, mais cela ne se voyait pas : il riait à l’intérieur, il riait triste.

Il avait été riche, il était presque pauvre. Être riche et puis pauvre, cela arrive lorsqu’on est orphelin ; qu’on a, qui vous éduque, une bonne bigote de tante ; que les Pères Jésuites vous ont appris leur latin de collège ; et qu’ensuite votre bonne vieille bigote de tante vous envoie, dans la vie, goûter aux études universitaires. Il suffit d’être simple et de regarder, pour la première fois, une femme. Il avait eu des femmes comme on a des poux : à vous sucer du sang ; il ignorait l’hygiène qui vous lave des femmes.