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DE LA SAGESSE

Ces mêmes hommes se privent d’une infinité de plaisirs et de douceurs : ils luttent continuellement contre leur propre penchant et font violence à leur naturel ; sans compter les craintes, les inquiétudes et les soucis dont ils sont perpétuellement rongés ; inconvénient pire que le premier ; car liés comme Prométhée à la colonne inébranlable de la nécessité, ils sont tourmentés par une infinité de pensées affligeantes (représentées par cet aigle de la fable, parce qu’elles ne font, pour ainsi dire, que voltiger) ; pensées dont l’aiguillon les pénètre et qui leur rongent, pour ainsi dire, le foie[1] ; à la réserve de quelques instans de relâche, où ils respirent un peu, et qui sont pour

  1. Les sciences ne nous apprennent que trop souvent à voir des maux qu’elles nous apprennent rarement à guérir, maux que sans elles nous n’aurions pas apperçus : et tel est leur principal inconvénient ; car la plus grande partie du bonheur consiste à ignorer tous les maux dont on ignore le remède, à jouir du beau temps, avec un peu d’insouciance, et à ne sentir la pluie que lorsqu’il pleut.