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Je sui li ars qui ne faut ;

et personne ne supposera qu’il ait voulu faire allusion à l’engin dont, selon Geffrei Gaimar, en son Histoire des Anglais, s’était servi le traître Eadric, en 1016, pour faire périr le roi Eadmond. Il s’agit, à n’en pas douter, du piège dressé par Tristan aux bêtes sauvages de la forêt de Morrois et décrit par Béroul dans les vers 1747-73, mais peut-être également décrit par d’autres dans des romans perdus. On hésiterait moins sur la provenance de l’allusion, si l’on osait reconnaître une réminiscence des vers 1404-6 de Béroul dans cet envoi d’une autre chanson de Jean Bretel[1] :

Au pui d’Arras, canchon, va tesmongnier
Que pour ma dame aim mieus amendiier
Tout mon vivant que joie recovrer
D’autres toutes · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Le manuscrit 103 et les imprimés du roman de Tristan en prose ont un dénouement qui diffère de celui de tous les autres manuscrits. Ce dénouement, identique à celui d’Eilhart, paraît avoir été emprunté à quelque poème perdu, et il y a apparence que ce poème était normand. Ne serait-ce pas le nôtre dont, par le plus heureux des hasards, les derniers récits nous auraient été conservés dans un remaniement qu’on a tout lieu de croire fidèle à l’original en vers ? Ainsi la destinée, qui a si fort maltraité ce roman, aurait ménagé à l’auteur oublié une sorte de revanche bien méritée. Depuis une vingtaine d’années, la plupart des récits parvenus jusqu’à nous dans le manuscrit 2171 jouissent, dans la belle adaptation moderne de M. Joseph Bédier, d’une faveur qu’ils n’ont sans doute jamais obtenue au moyen âge. Notre fragment figurait naguère au programme de l’agrégation française ; il figure à celui des examens d’Oxford et depuis 1914 il a été souvent expliqué dans les universités. Je prie instamment les personnes qui se serviront de cette nouvelle édition de me faire part de leurs critiques et de leurs corrections, afin que, si m’échoit jamais la tâche d’en publier encore une autre, elle réponde mieux aux vœux du lecteur et à mon désir de les contenter.

Genève, 31 janvier 1922.
  1. Bibliothèque de l’École des Chartes, XLI, p. 212.